Projet scientifique

Lorsque Donald Trump remporte l’élection présidentielle américaine fin 2016, nombre d’analyses ont tenté de comprendre ce que constituerait sa présidence dans le domaine des relations internationales au regard de son style provocateur et instable. En effet, la plupart de ces analyses estimaient à l’époque que les expressions publiques du nouveau président américain faisaient l’objet d’une stratégie somme toute rationnelle avec l’évidence que la fonction présidentielle conditionnerait son comportement et ses décisions en politique étrangère. Or la recherche permanente d’une explication rationnelle aux actes du président américain s’est épuisée avec le temps : comment expliquer, par exemple, les échanges d’insultes avec le leader nord-coréen Kim Jong Un, ou encore la volonté (fluctuante) d’arrêter l’accord KORUS (qualifié
d’« horrible » par Trump) avec son partenaire stratégique en Asie qu’est la Corée du Sud ? Comment comprendre également la proposition de Trump en 2019 de vouloir acheter le Groenland par les États-Unis ?

Des chercheurs en psychiatrie ont cherché à comprendre le tournant erratique de la présidence Trump à l’image des travaux de Jerrold Post qui démontre que la politique étrangère serait liée à un trouble narcissique de la personnalité (Post et Doucette 2019, Trump 2020, Elovitz 2020, D’Antonio 2015, Woodward 2018, Mccoby et Fuchsman 2020).

Les études consacrées à Guillaume II (Kohut 1991), Woodrow Wilson (Freud, Bullitt 1966), Osama bin Laden (Post 2002), Saddam Hussein et Bill Clinton (Post 2005), Kim Jong-il et Kim Jong-un (Post 2004, Immelman 2018), Vladimir Poutine (Immelman et Trenzeluk 2017, Thom 2018, Lavikainen 2016 ; Dyson et Parent 2017, Forsberg et Pursiainen 2017) Jimmy Carter (Walker 1998), John Foster Dulles (Holsti 1970) Eisenhower et Kennedy (Greenstein 1994), George Bush (Jervis 2003, Immelman 2002, Pfiffner 2003) montrent qu’il y a un intérêt croissant pour les internationalistes à comprendre autrement la formulation de la politique étrangère par les décideurs des régimes démocratiques comme non-démocratiques.

Ce projet de GT propose de mettre en valeur la dimension individuelle des personnalités et des croyances des dirigeants dans des crises internationales et des conflits armés. Pendant longtemps, le débat sur l’interaction entre acteurs et structure a privilégié la structure négligeant ainsi les acteurs qui font la structure. Or la mesure de l’influence va dans les deux sens – de la structure vers l’individu, mais également de l’individu vers la structure. Cette tendance est en effet particulièrement forte en France où certains chercheurs vont jusqu’à critiquer l’analyse de l’individu comme une « illusion héroïque », voire une « dangereuse dérive psychologiste ». Alors que dans les pays anglo-saxons la psychologie politique a trouvé depuis un certain temps une place importante dans l’analyse de la politique internationale, il y a très peu de travaux comparables en France. Si les travaux sur les émotions sont de plus en plus acceptés aujourd’hui, les analyses psychologiques individuelles restent peu nombreuses.

Quelques exceptions notables se trouvent avec les travaux de Alexandre Dorna (1989, 2006) et Sonja Zmerli (2015). Mais rares sont les liens qui puissent exister entre les départements de psychologie et de science politique. Et quand ils existent, la psychologie sociale est dominante. La psychologie politique est en effet davantage présente dans les départements de philosophie et l’économie.

Les axes de recherche

Pour valoriser l’acteur individuel et développer son analyse en France, ce projet de GT propose plusieurs axes de recherche qui pourront donner lieu à des journées d’études respectivement :

  • Un premier axe s’intéressera à la question du profilage des décideurs. Comment peut-on « lire » et comprendre un acteur individuel ? Quelles sont les méthodes les plus adaptées pour identifier les caractéristiques clés d’une personnalité politique (Post 2008, 2014)
    et ses croyances (George 1969, Walker 2006, Germiyanoglu 2014) ? Comment pouvoir tirer des conclusions à partir des gestes, des mimiques ?
  • Un deuxième axe se focalisera sur le processus décisionnel des leaders et de leurs visions individuelles des enjeux et des stratégies concernant l’environnement international. Dans cette démarche, un intérêt sera porté aux processus que mobilisent les décideurs politiques dans le calcul des coûts et des bénéfices, d’évaluer les risques, et de développer des interactions avec d’autres acteurs nationaux qui exercent une influence sur la politique étrangère.
  • Un troisième axe de recherche sera dédié à la question de la gestion des crises et à la question sur la manière d’influencer des leaders adverses à partir de leurs particularités individuelles. Quels outils sont les plus adaptés ? Quels organismes peuvent influencer le leader et comment ?
  • Un quatrième axe de recherche s’intéressera à la place des profiles psychologiques pathologiques, comme les décideurs narcissiques, paranoïaque ou obsessionnelles. À cet égard, il serait intéressant d’établir des liens avec des départements de psychologie et d’inviter des chercheurs du domaine médical.

Le public visé par ce groupe de travail est pluridisciplinaire. Il a vocation de faire communiquer des chercheurs du domaine de la science politique, de la psychologie ainsi que des historiens.

Activité du groupe

  • 10 septembre : Organisation des travaux pour les séminaires, journées d’études et le congrès 2025 de l’AEGES.
  • 2 février : Première réunion constitutive du groupe de travail et planification des activités pour 2024

Bibliographie

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ZMERLI, Sonja et al. Politische Psychologie : Handbuch für Studium und Wissenschaft. Baden-Baden : Nomos, 2015.


Responsables du groupe de travail

Franca Loewener est docteur en Science politique (Université Paris I). Elle est l’auteur d’une thèse intitulée Les « tensions marocaines » de 1905 et 1911 : une lutte pour la reconnaissance? Elle est actuellement chargée d’enseignement et directrice d’études à l’Institut Catholique de Paris et chercheuse associée au Centre Thucydide. Ses champs de recherche portent sur les causes symboliques des guerres interétatiques, les outils de gestion de crise ainsi que sur la psychologie politique et le genre. 

Contact: francaloewener (@) googlemail.com

Okan Germiyanoglu est docteur en science politique, auteur d’une thèse sur La lutte contre le terrorisme vue par les hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay. Pour une contribution française au concept d’ »Operational Code » (direction de thèse : Pr. Thomas Lindemann). Il est chercheur associé au Centre Thucydide (Université Paris 2 Panthéon-Assas) et au CERAPS (Université de Lille), co-animateur des groupes de travail « Psychologie des conflits internationaux » et « Guerre et Genre » de l’Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES), et directeur des études (L2-L3) de la Licence Sciences sociales et enseignant en science politique au campus de Reims de l’Institut Catholique de Paris (ICP).

Contact: okan.germiyanoglu (@) gmail.com

Justin D. Cook est Maître de conférences en Science politique à la Faculté de sciences sociales, d’économie et de et de droit (FASSED) de l’Institut Catholique de Paris (ICP). Ses recherches portent l’analyse des conflits et la sécurité internationale. Il est titulaire d’un Doctorat en Sciences politiques de l’Université de Lille II (CERAPS). 

Akofa HUKPORTIE est Docteure en Science politique de l’université Sorbonne Paris Nord où elle a soutenu sa thèse intitulée « Contribution à l’étude de la définition du concept de « cycle(s) de guerre » : le cas coréen ». A travers l’étude de cas du conflit entre les deux Corées, elle s’est interrogée sur l’existence de critères différents des facteurs nationaux et politiques qui pourraient conduire à une cyclicité du phénomène de guerre. Actuellement, ses principaux thèmes de recherche sont l’idéologie nord-coréenne, l’Union européenne, la dissuasion nucléaire.