Par Johanna Möhring, Présidente de WIIS France, et responsable de la section « Puissance militaire au 21e siècle » de l’AEGES.
Quel est l’intérêt de mettre l’accent sur une promotion de femmes en matière de sécurité et de défense ? L’enjeu est double : Il est d’ordre démocratique, car il s’agit tout simplement, et très difficilement, d’œuvrer pour la pleine participation des femmes à la vie publique en investissant symboliquement, et pratiquement le cœur du pouvoir étatique. L’enjeu est également d’ordre stratégique. Nos démocraties évoluent dans un environnement géopolitique extrêmement compétitif. Pour survivre, elles ont besoin de praticiens compétents analysant, formulant, exécutant et contrôlant les politiques de sécurité au sens large. Cette ressource, déjà rare, souffre d’un déficit féminin persistant.
Mary Beard, grande spécialiste des études classiques, nous rappelle que la « polis » grecque avait été conçue en excluant femmes et étrangers, en y bannissant toute participation, toute prise de parole féminine. Cette matrice de l’organisation politique et sociale, d’un domaine public exclusivement « masculin », reléguant les femmes à une sphère privée séparée nous a été transmise de génération en génération, et continue de nous formater. Pour celles et ceux qui en douteraient, la hargne dont font l’objet les femmes politiques, toute orientations politiques confondues, à l’hémicycle, et sur les réseaux sociaux est suffisamment explicite. Le fait que, paradoxalement, la nation soit souvent représentée par une figure féminine, sérieuse et armée à l’occasion n’y changerait rien.
Si on suppose que dans notre inconscient collectif, l’Etat reste masculin, son monopole de la violence (légitime) l’est d’autant plus. On peut donc s’imaginer que l’arrivée des femmes dans les domaines qui relèvent de la sécurité et de la défense constitue un bouleversement profond. Et de fait, l’acceptation que les femmes agissent en tant que responsables dans ces ressorts régaliens, ainsi que la reconnaissance de leurs capacités à gérer habilement les affaires de l’Etat n’est ni facile, ni tout à fait acquise.
L’enjeu de la promotion des femmes, autre que la légitimité démocratique, et la nature même du pouvoir est celui, primordial, de notre sécurité. Nous habitons un monde dans lequel compétition et coopération coexistent, ce qui demande à être saisi dans sa complexité. Ce sont les pays capables de penser stratégiquement, de combiner leurs ressources en stratégies de puissance cohérentes, et de les mettre en œuvre qui à l’avenir domineront. Au niveau national, un engagement permanent est nécessaire afin de garantir la résilience de nos sociétés et de nos institutions politiques. Sans un vivier large de spécialistes et professionnels dans les domaines les plus diverses ayant trait à la sécurité, nos démocraties sont affaiblies : une faille qui sera certainement perçue comme telle par nos adversaires.
Dans nos institutions politiques, dans la diplomatie, les forces armées et de l’ordre, le monde des universités et des « think tanks » scrutant le sujet de la sécurité, tout comme dans les industries de défense, les femmes sont une ressource sous-utilisée. Ce déficit se chiffre en pourcentage de participation brut (voir notre rapport). Il s’accentue encore si on mesure la partie des postes qui relèvent de la responsabilité décisionnelle.
Il nous faut affirmer la centralité de l’engagement pour les femmes, et pour la représentativité des perspectives et origines, afin de ne pas de se priver des capacités intellectuelles et physiques indispensables pour affronter des défis de sécurité d’aujourd’hui. Avec son réseau international et en concertation avec d’autres acteurs sur le terrain, WIIS France s’engage : la promotion de femmes dans la sécurité et la défense est l’affaire de tous. Rejoignez-nous !
Johanna Möhring
Présidente, WIIS France
Women in International Security (WIIS) France